LE PRINCIPE DE LA VALORISATION DES ROLES SOCIAUX

Introduction

Malgré les dispositions législatives, le handicap reste une cause d’exclusion, en termes d’éducation, d’accès au patrimoine commun, d’intégration professionnelle, mais aussi d’acceptation sociale. L’objectif, pour les personnes handicapées et leurs proches, demeure le même : participer pleinement à la vie de la cité.

Les interactions humaines sont des phénomènes complexes qui sont régis entre autres par les perceptions d’autrui. Ces perceptions peuvent faire en sorte que des personnes soient valorisées socialement et que d’autres soient dévalorisées, avec comme conséquences, que certaines personnes pourront jouir plus facilement de la vie et d’autres moins, ou pas du tout.

La Valorisation des Rôles Sociaux (VRS) est un principe d’organisation de services sociaux et médico-sociaux qui prend en compte cette réalité.

Il permet aux  personnes en risque de dévalorisation sociale, par exemple les personnes qui présentent des déficiences sévères, de vivre des conditions et des rythmes de vie, semblables à ceux de  la moyenne des personnes de leur âge.

C’est la volonté aussi de changer le regard des autres sur le handicap et c’est, comme le dit Pascal Bruckner, donner aux personnes handicapées accès pleinement au droit : c’est-à-dire la possibilité pour toutes les catégories de personnes d’accéder un jour au privilège de la citoyenneté ordinaire, en retrouvant à la fois la parole et la visibilité.

Origines

La VRS est apparue dans le domaine des services aux personnes handicapées en Amérique du Nord et en Europe dans les années 1980. Elle fut précédée par un autre principe, celui de la normalisation, qui apparut comme un des concepts des services humains vers la fin des années 1960 en Scandinavie et en Amérique du Nord.

Il a depuis lors été élaboré et systématisé, plus particulièrement, par Wolfensberger en Amérique du Nord, qui en a fait un principe directeur universel pour concevoir et diriger toutes sortes de services.

Bien que les professionnels des services sociaux et médico-sociaux, lesbureaucrates, les gestionnaires et les politiciens utilisent maintenant beaucoup les termes « valorisation des rôles sociaux », ils le font souvent de façon imprécise, incohérente, superficielle ou mal à propos. De fait, beaucoup de gens utilisent ces termes sans en posséder ni en proposer une définition réelle et des actions en lien avec le concept.

La formulation de Wolfensberger en 1982 fut la première que nous connaissons et qui soit systématique et globale :

  • "Dans la mesure du possible, dit-il, l'utilisation de moyens culturellement valorisés afin de permettre, d'établir et/ou de maintenir des rôles sociaux valorisés pour les personnes et de vivre des vies culturellement valorisées."

La définition contemporaine de la VRS est la suivante :

La valorisation des rôles sociaux (VRS) est un ensemble de connaissances qui explique deux types de phénomènes reliés :

  • les phénomènes de perception et d’évaluation et leurs liens avec la construction des rôles sociaux et,
  • l’effet des rôles sociaux sur la façon dont des individus, des groupes ou des classes sociales seront perçus et traités.

Cet ensemble de connaissances trouve ses origines dans plusieurs sciences humaines, notamment la psychologie sociale, la psychosociologie, la sociologie, la psychologie et la philosophie. ( Ce concept est par ailleurs essentiellement empirique. )

La VRS s’intéresse en particulier à l’interaction de trois phénomènes psychosociaux :

  • les dynamiques liés à la perception des personnes risquant la dévalorisation sociale,
  • comment ces perceptions influencent leur intégration sociale et leur fonctionnement dans la collectivité, et
  • comment l’intégration de ces personnes modifient le fonctionnement et les normes sociales de la collectivité.

Applications

La VRS peut s’appliquer à une multitude de domaines liés aux rapports humains. Nous l’avons surtout utilisée pour développer des stratégies d’intervention afin de soutenir l’intégration sociale de populations spécifiques, l’évaluation de la qualité de structures de services sociaux, le marketing social et les stratégies de communication, le développement organisationnel et la conception de lieux publics.

En appliquant les principes de la VRS auprès des populations qui sont habituellement prises en charge ou accompagnées par des structures de services, on peut faire l’hypothèse que plus une personne risquant d’être exclue et dévalorisée socialement est en mesure de se percevoir et se faire percevoir positivement dans sa collectivité, moins elle aura de chances d’être exclue ou dévalorisée socialement et plus elle sera apte à être incluse et valorisée ou tout le moins acceptée.

Une personne sévèrement handicapée, qui vit en permanence à l’écart de la société, n’a pas beaucoup de chances d’être perçue positivement puisque d’une part, elle n’est pas présente dans la communauté, et que d’autre part, le fait qu’elle vive cachée ne fait que renforcer les idées que la population se fait à son propos : si on ne la voit pas c’est qu’elle est trop laide, trop handicapée, trop quelque chose…

Ceci nous amène à une deuxième hypothèse selon laquelle une personne en risque de dévalorisation sociale sera davantage apte à apprendre, acquérir et jouer des rôles sociaux valorisés si son entourage la perçoit positivement, comme étant apte à pouvoir jouer des rôles sociaux valorisés et comme étant socialement compétente.

Mais  comment peut-on influencer positivement la perception de personnes qui sont perçues comme « différentes » ou « marginales », « singulières »?

Une personne est en risque de dévalorisation sociale dans un groupe, une société, une collectivité, lorsqu’une caractéristique personnelle significative (différence) sera jugée négativement (dévalorisée) par les autres. La différence ne devient source de marginalité que lorsqu’elle est suffisamment empreinte de valeurs négatives aux yeux des observateurs.

Donc les causes profondes de la dévalorisation sociale sont dans les yeux du témoin : elles sont culturelles.

Le postulat est en soi relativement simple : si on peut réduire les aspects d’une différence, d’une singularité qui agresse des valeurs collectives et si on peut modifier un tant soit peu les valeurs culturelles en question, on peut diminuer ou éliminer une déviance sociale ou au moins diminuer la marginalisation qui peut en résulter.

Faisons un peu de fiction pour illustrer ce qui précède.

Une personne qui, présente des déficiences physiques et mentales, intègre une collectivité qui n’a jamais vu d’individus aussi gravement handicapés. En plus de ses différences physiques et intellectuelles, cette personne semble avoir une autre grande différence avec les habitants du coin, une différence qui agace les gens : elle se déplace en fauteuil roulant électrique dans la rue, en pleine circulation automobile, et non sur les trottoirs, alors que les trottoirs sont adaptés aux fauteuils roulants. Cette différence, qui s’ajoute aux autres, sera jugée négativement par la population en général et les autorités. Notre personne risque de se retrouver dans une situation de marginalisation, voir d’exclusion (empêchement de se déplacer à certaines heures, enfermement, hospitalisation suite à un accident, etc.).

A partir de la situation qui vient d’être décrite, si on veut favoriser l’intégration de cette personne dans ladite collectivité, on travaillera à diminuer ou éliminer les aspects de cette différence qui choquent en lui apprenant, notamment, comment se déplacer en ville sans créer des bouchons, sans risquer de se faire tuer ou de provoquer des accidents.

Parallèlement, en tant que collectivité, on peut aussi se donner les moyens de redonner la rue aux piétons, aux cyclistes, aux rollers et aux fauteuils roulants à certains moments (on ferme les rues du centre-ville le dimanche par exemple). Ceci permettrait à notre personne de se déplacer dans la rue à certains moments et permettrait à la collectivité de modifier un peu ses valeurs, de poser un acte  écolologique et de favoriser le développement des contacts humains, etc.   

Dans cette fiction, on aura réussi à restituer ou à offrir à la personne une compétence et à améliorer son image auprès des autres. Mais on aura aussi modifié de vieilles habitudes. La norme sociale ou la valeur culturelle en jeu au point de départ aura été quelque peu modifiée. Qui sait, un jour, certaines rues seront peut-être fermées à la circulation automobile en permanence…et si tout le monde se met à marcher dans la rue, la donne culturelle aura suffisamment changé pour que notre personne ne soit plus du tout perçue négativement lorsqu’elle se déplace en fauteuil dans certaines rues.

Nous tendons, ainsi, vers un modèle social du handicap qui ne néglige plus la prise en compte des facteurs environnementaux, et la relation de cause à effet entre les déficiences individuelles et les désavantages sociaux, qui prennent en compte l’ensemble des barrières physiques ou socioculturelles.

Voilà une façon de concevoir la VRS. Evidemment, cette théorie s’applique à bien des personnes dans nos sociétés. On peut penser aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux minorités ethniques et religieuses, aux réfugiés et aux immigrants, aux personnes souffrant de maladies mentales, du SIDA, aux SDF, aux toxicomanes, aux personnes sans emploi et chômeurs, aux personnes pauvres. Dans nos sociétés occidentales, nous estimons à 30% la proportion de la population qui est marginalisée ou à haut risque de marginalisation. Nous ne serions nullement surpris d’apprendre que notre estimé est conservateur…

Vous aurez aussi compris que nous avons pris un exemple facile avec notre personne handicapée qui se déplace dans la rue. Dans la vraie vie, les perceptions négatives des personnes sévèrement handicapées et la dévalorisation sociale, soit l’exclusion et la marginalisation qui en découlent, sont des phénomènes complexes qui sont difficiles à changer.

La personne qui présente une déficience intellectuelle et aussi une maladie mentale et qui, par exemple, crie dans la rue, fait peur aux gens.

Elle fait peur parce que ses cris amplifient la peur de la maladie mentale et les préjugés à propos de sa déficience. Ses comportements la dévalorisent aux yeux du public et elle risque de se voir marginalisée, internée, exclue.

Si on l’aide à diminuer ses cris et si on l’aide à se trouver du travail ou une occupation, elle sera un peu mieux perçue.

Et si elle demeure dans le quartier pour quelques années, les gens s’habitueront graduellement à sa présence. Les gens qui la croisent ne feront plus grand cas (ne seront plus scandalisés) de l’entendre et la voir se parler à elle-même. Les nouveaux arrivés dans le quartier la prendront peut-être pour une artiste, une originale… On aura modifié un peu son image, on l’aura aidée à développer quelques compétences. On ne pourra pas la « guérir » ou la rendre aussi intelligente que la moyenne des gens, mais on peut travailler à diminuer certaines caractéristiques qui la dévalorisent et en même temps progressivement changer l’optique sociale, ou la valeur culturelle.

On pourrait illustrer ces stratégies d’application de la VRS avec des milliers d’autres exemples similaires.

Modifier les perceptions

Comment peut-on rendre positive la perception de personnes en risque de dévalorisation sociale, qui sont aux prises avec les à priori , avec les préjugés qui accablent les personnes perçues comme « singulières » quand elles sont comparées à « nous », les personnes qui vivent dans des milieux qui les prennent en charge totalement et les institutionnalisent, ce qui les rend encore plus « différentes » et donc plus vulnérables à la dévalorisation ?

Premièrement nous croyons qu’il est essentiel qu’elles soient visibles, qu’elles soient présentes dans la collectivité et qu’elles participent à leur façon à la vie sociale.

Plus on vit dans un monde artificiel, notamment les grandes institutions ségrégées, loin de la réalité sociale, plus on est traité différemment, plus les probabilités sont grandes pour que les difficultés, telles que les troubles du comportement soient amplifiées.

La différence, même quand elle est extrême, est déjà moindre à partir du moment où, grâce à sa visibilité, elle aide à redéfinir le sens du « nous », la « normalité ».

La première fois que l’on rencontre une personne polyhandicapée dans une grande surface, sa présence sera remarquée et il est possible qu’elle en choque plus d’un. Mais on finit par s’habituer, si on la rencontre régulièrement, dans des endroits publics, à faire des choses ordinaires.

On s’habituera encore plus, et on sera porté à lui adresser la parole si elle est bien mise, correctement vêtue, propre. On commencera à la prendre pour une de nous si en plus elle occupe une fonction jugée utile, ou importante.

Parfois, les personnes handicapées sont rendues vulnérables par leurs conditions, mais plus souvent parce que les personnes qui les soutiennent ne sont pas conscientes de l’importance de l’imagerie sociale et de l’impact que peut avoir l’exercice de compétences aux yeux de la société.

Présentes et potentiellement actives « parmi nous », ces personnes en risque de dévalorisation doivent donc aussi, être soutenues pour que leur image de soi et l’image qu’elles projettent d’elles-mêmes soient la plus positive possible.

Bien sûr, nous sommes tous différents les uns des autres. Nous sommes tous des êtres à part entière. C’est ce qui sauve l’humanité, nous en sommes convaincus.

Mais au-delà des différences humaines essentielles, il y a les caractéristiques qui nuisent à l’image des personnes, surtout quand elles sont déjà en risque d’être dévalorisées dans une collectivité. Qu’il s’agisse de leurs comportements en public, de leurs attitudes, du vocabulaire utilisé pour les décrire ou pour leur parler, de leur habillement, de leur image corporelle, de leurs occupations, des symboles et des mots que les structures de services utilisent pour décrire leur action sociale auprès de ces personnes, tous ces éléments vont influencer, positivement ou négativement, l’image des personnes et la manière dont elles seront perçues.

Par ailleurs, améliorer l’image des personnes doit aussi passer par l’amélioration de leurs compétences.

Perceptions et rôles sociaux

La perception des autres à notre égard et l’évaluation qu’ils font de nous, ont un impact capital sur les rôles sociaux que nous sommes appelés à jouer. C’est un phénomène que nous connaissons tous sous une forme ou une autre. Si nos parents nous ont perçus en bas âge comme de « bons enfants », « capables » et « intelligents », il est probable que cela a eu un effet positif et dynamisant sur nos rôles de fils, de fille, de frère, de sœur, de cousin, de voisine, d’aîné, de cadet, de benjamine, de parrain, de gardiennes d’enfants, de copains, pour ne nommer que ces quelques rôles, et sur notre façon de les jouer, de se les approprier lorsque nous étions enfants, et encore quand nous sommes devenus adultes.

Il en est de même, pour nos instituteurs, nos enseignantes, nos professeurs : si leurs perceptions et leurs évaluation de nous, pour quelque raison que ce soit, étaient positives, ils étaient intéressés à nous enseigner, à ce qu’on réussisse et nous en donnaient les moyens… Les rôles sociaux que l’on s’approprie sont en grande partie liés aux perceptions des autres et à leur évaluation.

Nous savons également que les rôles sociaux que nous jouons influeront sur la manière dont nous serons perçus et traités. Par exemple, si nous sommes perçus et reconnus comme étant « utiles » à la société en général, à notre collectivité ou à notre employeur, il est probable que nous serons traités avec plus d’égard que si nous sommes perçus comme « inutiles ».

L’immigrant qui est perçu comme un exploiteur du système de sécurité sociale de son pays d’adoption ou qui est perçu comme un danger, aura moins de chance de travailler dans un emploi bien rémunéré et prestigieux dans cette collectivité ou pays. Ceci le forcera peut-être à dépendre du système de sécurité sociale, ou même à devoir s’adonner à des activités qui le marginalisent davantage, ne serait-ce que pour survivre, ce qui renforcera les préjugés à son égard de même que celui d’autres personnes dans sa situation.

Ces jugements le cantonneront vraisemblablement dans des rôles moins importants et souvent marginaux, soit des rôles sociaux dévalorisés.

Le principe de la VRS trouve vraiment sa raison d’être avec des personnes ou des groupes qui sont en risque de dévalorisation sociale, de marginalisation, d’exclusion, de discrimination.

Parmi les personnes les plus vulnérables, notons les personnes qui présentent des déficiences physiques, intellectuelles ou sensorielles, les personnes ayant des difficultés sévères de santé mentale, les personnes atteintes de maladies mentales chroniques, tel que la schizophrénie, les personnes atteintes de maladies neurodégénératives (démences) telles que la maladie d'Alzheimer, les personnes atteintes de troubles envahissants du développement, tel que l’autisme, les personnes qui ont des troubles de la personnalité, les personnes qui ont des troubles du comportement, les personnes qui rejettent l’affection, les minorités ethniques ou religieuses, les personnes dont les styles de vie ou les états remettent en cause les valeurs sociales, les personnes chroniquement pauvres, les personnes âgées ou en fin de vie.

La liste pourrait s’allonger.

Pour toutes sortes de raisons, ces personnes sont en risque de dévalorisation sociale. Le jeune adulte qui présente une déficience mentale sévère, accompagnée par des déficiences neurologiques, qui ne communique pas verbalement et qui a tendance à ne pas contrôler sa salivation, risque d’être perçu comme quelqu’un qui doit être assisté et soigné et non comme quelqu’un qui peut aussi participer, communiquer, accomplir, aimer, être utile.

Et, si tel est le cas, il aura tendance à assumer les rôles de malade, d’usager, de bénéficiaire, plutôt que les rôles de fils, de voisin, de frère, de parrain, de travailleur, de citoyen. Qui plus est, dans ce type de rôle, il a de fortes chances de vivre exclu, isolé, ségrégué avec d’autres personnes qui présentent des caractéristiques semblables ;  donc, une situation qui fera obstacle à une perception valorisée de qui il est.

Plus les personnes en risque de dévalorisation sociale sont vulnérables et incapables de bien se défendre elles-mêmes, plus le principe de la VRS prend de l’importance, du sens.

La VRS se veut un principe d’organisation des services sociaux et médico-sociaux qui puisse aider à prévenir, diminuer ou éliminer les pratiques courantes qui, inconsciemment, conduisent à la dévalorisation sociale telle que décrite précédemment.

Conséquences

Le fait que certaines personnes soient dévalorisées par leur société implique trois points importants :

  • Les personnes dévalorisées seront mal traitées. Elles auront généralement moins d'estime et de statut que les personnes valorisées. Les personnes dévalorisées sont susceptibles d'être rejetées, persécutées et traitées de façon à diminuer leur dignité, leur adaptation, leur développement, leur santé, leurs possessions, leurs compétences, leur espérance de vie, pour ne nommer que ceux-là.

Par exemple, en 2003, lors de la canicule en Europe, parmi les quelque 15,000 personnes âgées décédées, plusieurs d’entre-elles sont mortes parce que personne ne se préoccupait de leur sort. Elles vivaient souvent seules, abandonnées par les membres de leurs familles. Même mortes, certaines personnes n’ont jamais été réclamées par leurs familles. Cette forme de mauvais traitement montre que la maltraitance peut aussi être passive. L’abandon, l’isolement et la solitude qui en résultent, sont des formes de maltraitance tout aussi dévastatrices que les coups, ou les abus psychologiques.

  • Le traitement accordé aux personnes dévalorisées prendra des formes qui expriment la perception des rôles sociaux de la personne ou du groupe dévalorisé.

Si les personnes âgées en fin de vie sont essentiellement perçues comme des mourants, elles seront contraintes de vivre les dernières années de leur vie dans des mouroirs… si elles sont perçues comme nos aînées qui nécessitent des soins et de l’accompagnement pour mieux vivre leurs dernières années, elles seront hébergées dans des lieux qui feront en sorte qu’elles vivent chez-elles.

  • La façon dont une personne est perçue et traitée par les autres déterminera fortement à son tour comment elle agira subséquemment.

Par conséquent, plus une personne est perçue et traitée de façon dévalorisée, plus elle se conformera à cette attente et agira de la façon socialement attendue ou qui n'est pas socialement valorisée.

Si l’adulte handicapé est perçu par son entourage comme un éternel enfant il se comportera en enfant, ce qui renforcera notre perception, et renforcera son rôle dévalorisé.

Si l’adulte handicapé est perçu comme une personne de son âge, elle se comportera en adulte.

Intégration, participation sociale et citoyenneté : assurer une vraie vie pour nos proches ayant des incapacités

La façon traditionnelle de concevoir la déficience et l’incapacité dans notre société produit de nombreuses conditions dites « incapacitantes », des conditions qui, notamment, soustraient les personnes ayant une incapacité de leurs obligations civiques. Historiquement, l’incapacité a été perçue comme étant située à l’intérieur des personnes, ce qui crée une impression qu’elles sont « défectueuses », ne pouvant vraisemblablement pas contribuer à la société.

Les personnes ayant une incapacité ne sont pas reconnues comme des ressources sociales et économiques, ou comme des individus qui peuvent offrir une contribution à leur communauté ou à la société. L’isolement et la solitude qui résultent de ces perceptions sont probablement les conditions les plus incapacitantes qui soient car elles créent des barrières autour des personnes ayant une incapacité.

Les statistiques tendent à démontrer ce fait : “Les personnes handicapées sont cinq fois plus aptes à affirmer qu’elles sont insatisfaites de leur vie (24% vs. 5%, parmi les répondants adultes du sondage Harris de 1994 au Canada). L’isolement est une raison majeure citée pour expliquer ce triste état de fait. Plus de la moitié (51%) des personnes handicapées qui furent sondées et qui pouvaient s’exprimer disent que l’absence d’une vie sociale remplie constitue un problème pour elles.” (1)

Nous avons tous besoin d’appartenir, de contribuer, de donner un sens à nos vies. Pour la plupart d’entre-nous, ce type de besoin est comblé par le biais de nos relations avec les membres de nos familles, nos voisins, nos amis. Nous donnons, nous recevons et ainsi nous donnons un sens à notre vie en compagnie des autres. Pour les personnes handicapées, ce type de besoin n’est souvent pas comblé parce qu’elles ont peu ou pas de relations significatives. En fait pour plusieurs personnes handicapées, les seules relations sociales dont elles jouissent sont avec des personnes qui sont payées pour en prendre soin.

Plusieurs personnes handicapées sont prises en charge par des systèmes de services et entourées par des professionnels des services de santé et sociaux. L’isolement et les à priori sociaux sont des barrières à l’acquisition de la pleine citoyenneté des personnes ayant une incapacité.

La pleine citoyenneté n’est pas un attribut accordé par une autorité gouvernementale. Il s’agit d’un statut qui nous est conféré par nos concitoyens quand ceux-ci prennent conscience de nos contributions.

L’isolement des personnes ayant une incapacité fait que leurs contributions ne sont pas reconnues, ce qui les empêche de s’approprier leur citoyenneté. Qui plus est, de nombreuses personnes considèrent qu’un individu qui présente une déficience intellectuelle ou physique est « incapable ». Ce préjugé les amène à conclure que cette personne ne peut donc pas se responsabiliser et contribuer à la société, ce qui augmente l’isolement et empêche encore plus l’appropriation de la citoyenneté. 

L’antidote à l’isolement et la solitude est la relation humaine.

Relations = Contribution

Contribution = Citoyenneté 

Donc : Relations = Citoyenneté

Quels rôles sociaux valorisés pour des personnes sévèrement déficientes

Un des principaux obstacles à la formation de relations est sans doute la perception que les personnes handicapées ne contribuent pas.

Il existe deux types de contribution : être et faire. Habituellement, on accorde une plus grande valeur aux contributions de type faire qu’aux contributions de type être. Par exemple, le travail, les sports et la performance ont tendance à être hautement valorisés dans notre société. Parler est plus valorisé qu’écouter ; accomplir plus que réfléchir. Notre société accorde plus de valeur au courage, au sacrifice et à l’attachement qu’à l’hospitalité, la préoccupation de l’autre et la loyauté. Dans ce contexte de valorisation de faire par rapport être, les personnes ayant une incapacité qui sont isolées sont désavantagées.

Les personnes sévèrement handicapées ont beaucoup à apporter à la société et à nos vies en général du simple fait qu’elles existent, qu’elles sont là, qu’elles prennent plus de temps pour faire des choses, qu’elles communiquent parfois de façon non orale, qu’elles sont capables de transmettre une grande affection, qu’elles voient la vie différemment que les personnes dites « bien portantes » mais ô combien stressées…. Les rôles sociaux qu’elles peuvent jouer, et dont on se prive et prive la communauté, sont des rôles que nous devons explorer davantage, en commençant par se poser des questions à propos des contributions liées davantage à être qu’à faire.

Voilà donc un beau grand principe, mais comment peut-on l’appliquer concrètement avec des personnes sévèrement handicapées ?

Voici, peut être, quelques façons concrètes d’appliquer le principe de la Valorisation des Rôles Sociaux avec des personnes qui manifestent des déficiences mentales et des troubles du comportement.

    • Traitez-les comme des personnes de leur âge, si ce sont des adultes, ils ne seront pas infantilisés
    • Protégez et faites la promotion de leur statut social…elles ne sont pas que des usagers… elles sont des filles, des fils, des frères, des sœurs, des amis, des collègues, des Suisses, des Genevois, des citoyens…
    • Améliorez et défendez leur image (l’image qu’elles projettent sur elles-mêmes et vers l’extérieur) : apparence personnelle, routines et rythmes de vie, vocabulaire, noms des services et programmes
    • Offrez-leur des milieux de vie typiques, confortables, beaux, conformes à leurs fonctions et rappelez-vous que les troubles du comportement sont souvent la réponse à des environnements physiques et sociaux inadéquats
    • Utilisez des équipements adaptés à leurs capacités et non seulement à leurs incapacités
    • Incluez-les dans les rites et pratiques (religieux, politiques, culturels etc.)
    • Aidez-les à se socialiser dans des rôles sociaux positifs
    • Aidez-les à acquérir des biens et à en prendre soin
    • Offrez-leur une continuité physique et sociale : quand les personnes qui nous sont significatives changent constamment, ce qui est le cas dans bien des milieux institutionnels, nos comportements en seront influencés et très souvent ils seront décrits comme « troublants »
    • Aidez-les à développer des relations significatives et interdépendantes avec d’autres personnes que les seules personnes qui leur fournissent des soins
    • Compensez positivement leurs déficiences, ou au moins, n’en ajoutez pas
    • Développez leurs compétences et leurs capacités
    • Aidez à développer leur résilience
    • Rendez-les visibles, soutenez leur intégration sociale
    • Offrez-leur l’accès aux activités courantes de leurs collectivités
    • Offrez-leur l’alternative la moins restrictive possible
    • Servez de modèles positifs
    • Donnez-leur l’occasion de vivre des expériences de vie valorisantes
    • Favorisez le développement de leur identité
    • Aidez-les à développer leur individualité
    • Donnez-leur les moyens d’avoir des projets personnels et de les réaliser
    • Donnez-leur la possibilité de contrôler le plus possible leur vie (une des meilleures façons de diminuer les troubles du comportement)
    • Donnez-leur l’occasion de contribuer

En résumé

La VRS compte donc faire évoluer les regards portés sur les personnes en situation de handicap et à réduire les frontières entre les personnes handicapées et la communauté.

La VRS fonde ainsi son action sur une éthique d’écologie biopsychosociale et une compréhension intégrée des processus naturels du développement de la vie, elle souscrit au respect de la vie et en particulier à celle de l’être humain. Elle a une vision de l’homme et de la société qui replace la personne dans sa dignité et qui redonne sens à sa dimension existentielle, communautaire et spirituelle.

Considérant les personnes comme des sujets-citoyens, elle vise avant tout une valorisation de leurs capacités et de leurs ressources individuelles et environnementales.

La VRS défend l’accès aux personnes handicapées et à leur proche à l’information et à la formation et leur droit à des activités valorisantes et socialement reconnues. Elle ambitionne une amélioration du statut et de la participation des personnes concernées par le handicap.

Et comme le dit Albert Jacquard

« Nous sommes ce que le regard des autres fait de nous ; quand le regard des autres nous méprise, nous devenons méprisables et quand le regard des autres nous rend merveilleux, eh bien ! Nous sommes merveilleux. L’important, c’est de se voir merveilleux dans le regard des autres »

Ainsi, la VRS nous donne la possibilité de choisir d’accueillir et d’apprivoiser les singularités, les différences qui nous font peur et de permettre ainsi de contribuer à la construction d’une société plus ouverte et plus sereine.

La VRS est l’affaire de tous, de tout en chacun, c’est une histoire de bon sens.

Alain Dupont
Juillet 2005

1) National Organization on Disability/Harris Survey on Community Participation, 2000